Rendez-vous

Matt était figé sur place, abasourdi par l'attitude de la psychiatre. Il y a quelques heures, elle était prête à l'embrasser et maintenant, elle était froide comme un glaçon. Décidément, il ne savait pas sur quel pied danser avec elle. Apparement elle n'avait pas apprécié la petite broutille qu'il lui avait lancé quand elle apparut sur le seuil de la porte, mais il ne pensait pas qu'elle était susceptible à ce point, surtout après les joutes verbales qu'ils avaient échangées une partie de l'après-midi. Elle avait accepté l'invitation, alors pourquoi opter pour cette
attitude désagréable ? Matt regretta presque d'avoir cuisiné pour elle.

- Vous avez bouffé du lion enragé avant de venir ?

Sans attendre de réponse et sans un regard, il remonta les escaliers qui le menait dans sa chambre qui était en duplex pour aller se sécher et s'habiller. Il choisit un jean's et une chemise bleue assortie à ses yeux. Puis il descendit et alla directement à la cave à vins qui se trouvait dans la cuisine. Il sortit une bouteille et vérifia la vieille étiquette. Snow était très connaisseur en vin français. Il avait acheté plusieurs bouteilles dans une vente aux enchères. Le profit de la vente avait servi pour construire des hôpitaux au Sri Lanka.

Avec une pointe de méfiance, il demanda.

- Un Merlot 1897, çà vous convient ?

- Vous avez bouffé du lion enragé avant de venir ?

Pourquoi lui demandait-il ça ? Elle se concentrait sur la raison de sa venue, voilà tout. Mais comment lui dire qu'elle tenait pas à mélanger travail et vie personnelle ?.. Il l'avait invitée pour parler du cas, elle se focalisait sur le cas. Il lui aurait demandé de venir pour être ensemble, et ben, d'une, elle aurait mis une robe ou une jupe, bien qu'elle soit plus à l'aise en pantalon, et de deux, elle aurait été moins mal à l'aise. Mais c'était pas sa faute aussi !
On aurait dit qu'il faisait tout exprès... Et puis cette odeur de nourriture presque rance, que la vampire respirait en-dessous des effluves du beef stew...
Elle hésita à répondre. Tant pis. Elle leva la tête et regarda l'humain, qui s'était déjà éloigné.

Non. Mais vous m'avez demandé de venir pour travailler, alors je me focalise sur le travail, dit-elle en haussant la voix pour qu'il l'entende. Elle savait qu'il n'attendait pas de réponse, enfin, elle s'en doutait, mais avait tout de même répondu, car elle voulait que les choses soient bien claires entre eux deux.

- Un Merlot 1897, çà vous convient ?

Elle fronça les sourcils et sa gorge se noua. Tout ce qui venait de cette année n'était pas vraiment bien accueilli par la vampire. Le 4mai, lors d'un nouveau séjour en France en tant que lady Davis, elle avait refusé une invitation à un cinéma de l'époque. Elle préparait son retour en Angleterre. Ce jour-là, ses amies, aussi des ladies, y étaient allées. Malheureusement, un incendie s'était déclaré. Des cinq ladies, deux avaient survécu. Cynthia, à l'époque, avait fait une sorte de dépression, se morfondant dans l'idée qu'elle aurait du se trouver avec elles. Une fois de plus, ce fut Wilhelm qui l'avait aidé à s'en sortir.
Elle s'ébroua, chassa ses souvenirs et répondit en souriant :
oui, ça sera... parfait.

le mot était sorti presque péniblement.
elle rebaissa la tête, se la prit entre les mains. il fallait qu'elle se ressaisisse. le passé était le passé, elle ne devait pas y toucher. Essayer d'oublier. Les yeux clos, elle massa sa tempe, douloureuse comme à chaque fois qu'elle se souvenait d'une histoire peu agréable. Douleur psychosomatique, certes, mais qui était bien réelle.

Au bout d'une minute elle releva la tête, ouvrit les yeux, Snow était en face de la (jeune) femme, penché vers elle, lui tendant un verre...

"Mais elle n'est pas dupe à ce point ! Venir chez moi pour parler boulot, pour une psychiatre, elle n'est pas douée !" pensa Matt quand il se pencha pour lui offrir le verre de vin. Il plongea son regard dans le sien mais il remarqua qu'elle avait aucune expression. "Me serais-je trompé cette après-midi ? Elle est vraiment venue pour le boulot ? Alors pourquoi ce rentre-dedans ? Une simple allumeuse ?" continua de penser Matt dans sa tête.

Il s'assit en face d'elle au lieu du canapé afin qu'il n'entendent pas une réflexion désobligeante de sa part. Il ne voulait pas réveiller ce caractère irascible qu'elle avait opté pour la soirée. Cependant, Matt essaya de faire des efforts pour mettre la jeune psychaitre plus à l'aise et joua le jeu pour le dossier Ronalli.

- Vous pensez que le cas Ronalli est un cas désespéré ? Car il me sera difficile de le garder plus longtemps à l'hôpital si il n'y a pas de complications chirurgicales. Comment allez-vous procéder ?

Patiement, Snow attendit la réaction de sa collègue.

Cynthia se massa encore un peu la tempe. Dès l'invitation à dîner, Kunthea avait compris que c'était pas pour travailler, mais Cynthia la consciencieuse avait freiné les envies de l'autre partie d'elle-même. en 156ans, quand même, elle avait fait le tour des excuses bidon pour inviter une fille chez soi... faut pas prendre un cochon pour un poulet ! il pensait vraiment qu'elle l'avait cru, de venir travailler, chez lui, à 20h ??
Mais fallait reconnaître que l'avoir embrassé avait été un mauvais coup. Enfin, elle avait mal déplacé son pion sur l'échiquier, quoi. Il devait la prendre pour quoi, maintenant ? une marie couche-toi là ?

"oh et puis merde... il est sexy, d'accord.. mais il est aussi arrogant, prétentieux, imbu de lui-même..."
Plus puant d'orgueil que tous les types qu'elle avait pu rencontrer. même lance, le frère de Coraline, n'était pas aussi vaniteux... presque autant, mais pas pour le physique...

Elle se plongea dans le moelleux du canapé, et réfléchit. Vu son attitude, soit il avait peur d'elle, soit il avait vu son regard. Mauvais signe, ça, mauvais signe... très mauvais signe, même. Il avait vu le regard qu'elle avait hérité de son père... Extrêmement mauvais signe... S'il avait vu ce regard, la soirée était pour ainsi dire fichue en l'air, bien qu'elle ait déjà mal commencé. Regard des mauvais jours...Le seul regard qu'il lui avait adressé à partir de 1870... très mauvais... Un regard vide, absent.

- Vous pensez que le cas Ronalli est un cas désespéré ? Car il me sera difficile de le garder plus longtemps à l'hôpital si il n'y a pas de complications chirurgicales. Comment allez-vous procéder ?

La vampire se pencha en avant, feuilletant le dossier. elle pesa ses mots.

Un cas désespéré ? il le sera si on n'essaie pas de l'aider. Chaque personne peut s'en sortir, s'il est encouragé, et compris...

Petit problème : ça n'était pas vraiment le discours d'une psychiatre... Elle changea d'attitude et ajouta :

Tout érotomane est, à la base, un humain de tout ce qu'il y a de plus normal, comme vous... et comme mo.. d'autres gens, se reprit-elle. oui, comme d'autres gens... je ne suis pas vraiment le type même d'une personne normale.. se murmura-t-elle, d'une voix presque inaudible. d'ailleurs j'aurais du mieux me nourrir avant de venir... continua-t-elle d'une voix très basse.

Cynthia sourit. Elle venait de penser à une astuce qui lui permettrait d'avaler du sang sans que Matt ne s'en rende compte... Elle fixa des yeux un tableau situé dans le dos de l'humain, accroché au-dessus du radiateur, obligeant Matt à se retourner. A ce moment-là, elle sortit une toute petite fiole de sa poche et en versa quelques gouttes de sang dans son verre. Elle rangea la pipette dans sa poche, étant presque sûre qu'il ne l'avait pas vue.
Elle le regarda à nouveau, l'air innocent, avant de l'interpeller :
dites, vous devez avoir une bonne vue non ?..

Snow la regarda interloqué.
Pour pouvoir étudier le dossier de Ronalli d'aussi loin, mieux vaut avoir de bons yeux...

En souriant, elle tapota l'espace vide du canapé, comme il l'avait fait sur son bureau plus tôt dans la journée. Elle le regarda, se demandant s'il oserait venir s'asseoir à côté d'une hystérique...

Matt jubilait au fond de lui-même. Il avait retrouvé cette complicité qui était née entre eux dans l'après-midi. Quand elle s'approcha de lui à quelques centimètres, Matt ouvrit de grands yeux.

- Quelles choses sérieuses ? Et bien, vous êtes venue goûter à mon Beef Stew pardi !

Matt se leva d'un bond et alla directement à la cuisine pour servir son plat dans les assiettes.

- C'est prêt !

Voyant la déception de la jeune femme sur son visage. Matt sourit et rajouta.

- Après, on passera au dessert ! Et je te promets qu'il sera à la hauteur de tes espérances !

Matt était enfin passer au tutoiement. Maintenant c'était de savoir si la demoiselle ferait de même.

Matt était ravi que la jeune femme connaisse le plat. Il était assez fier de ses origines irlandaises et là, elle marquait un point. Cependant quand elle se trompa sur la date, Matt conclua que la jeune femme était vite ivre avec un seul verre de vin. Devait-il profiter de la situation et en abuser même ? Matt se contenta simplement de répondre à la question de sa collègue.

- C'est une recette qui vient de ma mère qui est Irlandaise. Elle habite Wexford, j'y vais chaque année pour m'y ressourcer.

Il y a 2 ans, la mère de Matt avait eu quelques problèmes de santé, Matt était venu la voir. Biensûre, il s'était disputé avec les médecins de l'hôpital qui la soignaient. Ils n'étaient pas d'accord sur le traitement à donner. Il est tellement plus difficile de prescrire quand on est directement impliqué. Matt était resté près de deux mois à Wexford, c'était peu de temps après son procès et son divorce. Seule l'Irlande et la présence de sa mère l'avait aidé à diminuer les somnifères qu'il prenait depuis que son ex-femme était partie. Elle n'avait pas supporter le brusque changement d'humeur de son mari après que celui-ci ait causé un incident au bloc . Depuis ce temps, il essayait de se reconstruire mais il n'accordait plus facilement sa confiance aux femmes. Plusieurs compagnes d'un soir avait partagé quelques instants de sa vie mais il ne rappelait jamais. Sa vie de célibataire lui convenait parfaitement. Enfin pour l'instant....

Voyant que la jeune femme ne faisait que remuer le Beef Stew avec sa fourchette dans son assiette, Matt fronça les sourcils puis se radoucit un peu et ajouta.

- J'espère que tu n'es pas une de ces femmes qui ne mangent rien pour garder la ligne !

Pour sa part, Matt prit d'énormes bouchées et regarda de nouveau la jeune femme assise en face de lui.

-C'est une recette qui vient de ma mère qui est Irlandaise. Elle habite Wexford, j'y vais chaque année pour m'y ressourcer.

Cynthia sourit, se souvenant que Mary était, à l’origine, irlandaise. Ce serait vraiment curieux si… Après tout, c’était fort possible. Mais la jeune vampire réfléchissait en même temps à comment s’excuser de ne pouvoir manger le plat qu’il avait préparé. Elle le remuait de sa fourchette, le nez penché vers son assiette.

-J'espère que tu n'es pas une de ces femmes qui ne mangent rien pour garder la ligne !

La vampire releva la tête. Ne sut que dire face à l’interpellation de Matt. Elle hésitait sur quoi lui dire, se gratta l’arrière du crâne avant de se passer la main sur la nuque, ne sachant pas quoi répondre, se donnant le temps de trouver une raison.
Indisposée ? Mauvaise idée. Un peu malade ? Pareil. Troublée ? Pas mal…
« Oh ! je sais… quoi que… c’est la vérité, après tout… Mais un mensonge… oh c’est pas vrai… comment je m’en sors, moi ?! Tant pis, j’essaie. »

En fait… Dans ma famille, commença-t-elle, on avait instauré une sorte de tradition… Mon père rentrait tard, et nous ne dînions pas avec lui. Du moins au début…

« Jusque là, tout est vrai… »

…quand j’ai eu douze ans, j’ai demandé à ce qu’il dîne avec mon frère et moi, quitte à ce que nous l’attendions. Il arrivait assez tard, et du coup,…

« C’est encore vrai.. Attention à la suite… espérons que ça va passer… »

… la cuisinière nous préparait une soupe ou parfois rien… On a pris l’habitude de boire du potage… Froid en été, chaud l’hiver… Variant les goûts…
J’aurais du te prévenir, je sais bien, mais je n’ai pas osé…

Matt eut une sorte de moue déçue. Cynthia leva la main pour l’apaiser avant qu’il ne dise quoi que ce soit :
Une autre fois, en temps normal, j’aurais goûté ton plat avec plaisir..

« Si j’avais été humaine, bien sûr… comment lui faire comprendre que j’en aurais mangé si j’avais pu ?.. »

Elle attrapa la main droite de l’humain posée sur la table, la serra légèrement et brièvement.
La vampire le regarda, anxieuse de voir quelle serait la réaction de son confrère…
Je suis désolée de ne pas t’avoir prévenu. J’aurais pas voulu gâché la soirée…
« Même si c’est la seule chose que j’aurai réussi aujourd’hui… » pensa-t-elle amèrement.

Matt fit de grands yeux et resta figé un instant. "Elle ne mange que de la soupe le soir à cause de son père ? J'avoue ne rien comprendre !...." Matt ouvrit la bouche pour dire quelque de chose d'ironique et se ravisa. Il pensa seulement que cette jeune femme n'avait pas eu une enfance facile tout comme lui.

- Ca ne fait rien, je te le mets dans une boite hermétique et tu le mangeras demain au boulot... Cà te convient ? Histoire que je n'ai pas cuisiné pour rien....

Matt vit un grand sourire sur le visage de la jeune femme. Il se leva pour ramasser les assiettes et les apporter pour les mettre dans le lave-vaisselle.

- Bon, je crois qu'on en avons fini pour ce soir, à moins que tu veuilles ajouter quelque chose ?

Matt n'avait pas envie que la jeune psychiatre s'en aille mais il ne savait pas comment aborder le reste de la soirée.

Bien qu'il fasse bon dans la pièce, Cynthia frissonnait. Matt n'était pas étranger à son trouble, elle s'en rendait bien compte...
- Parles-moi de toi....

Cynthia se crispa.

Que veux-tu que je te dise ? demanda-t-elle simplement, se redressant et s'asseyant sur lui.

La vampire ne parlait jamais d'elle. Sauf l'autre soir, à Beth, parce qu'elle avait eu besoin de s'expliquer. L'humaine n'avait rien demandé, mais la vampire avait tout gardé trop longtemps au fond d'elle-même.
Elle s’était toujours mentie, avait préféré se voiler la face. En 1909, alors qu'elle partait pour les USA, Wilhelm lui avait promis qu'il serait toujours là. Son prussien lui avait promis qu’il la rejoindrait là-bas. Ce jour-là, quand elle avait vu la haute silhouette de Wilhelm devenir toute petite, elle avait compris qu’elle avait perdu. Perdu son combat contre les sentiments qu’elle essayait de s’interdire.

La vérité était qu’elle avait peur. Cynthia n’avait compris qu’un an auparavant. En lisant un livre historique sur une pirate du 18ème.
Elle s’était reconnue dans la description qu’un personnage avait fait de l’héroïne. Tout comme Mary Read, Cynthia avait peur d’aimer. Parce qu’elle avait vécu l’abandon, le rejet de quelqu’un supposé l’aimer toujours. Parce qu’elle savait que du jour au lendemain, tout pouvait basculer. En une heure. Une minute. Et encore, une simple seconde suffisait. Parce que aimer, aimer vraiment, ça voulait dire s’attacher, accepter la dépendance, s’abandonner pour parfois l’être en retour.
Cynthia ne voulait pas subir ça.
Elle ne voulait plus subir ça.
Elle avait fait son deuil. De Wilhelm. ça avait été long, pas facile, comme tout deuil... mais elle s'en était sortie et avait réussi à s'en détacher, à grandir, à avancer.
Et pourtant, avec Matt, elle était tentée de croire que ça ne serait pas toujours comme ça... Elle voulait croire que sa peur presque viscérale s'arrêterait, lui laisserait du temps. Du temps pour pouvoir aimer, pour pouvoir vivre. Ce qui était presque paradoxal pour quelqu'un de son espèce...
Depuis, Kunthea avait décidé de ne jamais revivre ça un jour.

La vampire soupira. Pas par agacement. Pas par refus de répondre. Simplement parce qu'elle ne savait pas par où commencer. Ne savait pas comment expliquer à l'humain allongé qu'elle avait perdu sa mère avant de perdre ensuite son frère. Et puis son père. Vivre le rejet de son père avait été plus dur que celui de Wilhelm. D'une part, parce que c'était son père, évidemment, et, d'autre part, parce qu'elle se sentait coupable de n'avoir pas sauvé Peter. Elle se releva un peu et s'assit à côté de Matt. Le regarda, l'air désolé. Matt attendait, silencieux. Patient.

Par où commencer ?.. Par mon père ? Ma mère ? Mon frère ? Ou mon mari ?..
"ou bien par ma nature ?.."

Matt vit de la tristesse dans les yeux de la jeune femme. Apparemment, il ressentait chez elle une souffrance qu'elle avait à peine à exprimer. "Serait-ce un trop lourd passé ?" pensa Matt en lui déposant à nouveau un baiser sur le front. Puis, il écouta sa dernière parole et écarquilla les yeux.

- Tu as déjà été mariée ?

Matt ne savait pas comment prendre la nouvelle. Lui même avait été marié, mais il avait le double de son âge. D'ailleurs, par rapport à l'âge, Matt ne savait pas trop comment prendre la chose par rapport à ses sentiments pour Cynthia. De plus, elle était une collègue de travail. Alors Matt rajouta avec une voix douce.

- On ne devrait pas aller plus loin....

Matt n'avait pas envie d'aller au-delà des problèmes. Il avait trouvé un hôpital et une ville où il se plaisait. Il recommencait à reconstruire sa vie, enfin, loin de son passé et de son ex-femme qu'il n'arrivait pas à oublier. Mais malgré les apparences, Matt avait aussi envie de faire renaître chez lui, un sentiment profond d'amour.

- On ne devrait pas aller plus loin, car les choses sont compliquées.... Nous travaillons ensemble, je suis plus vieux que toi... Le double de ton âge... Ce n'est pas raisonnable.. Et je ne suis pas sûr de vouloir entamer une relation sérieuse avec quelqu'un...

Matt s'était retourné. Cynthia, elle, s'était sentie giflée de plein fouet. La bonne vieille excuse de l'âge... Comment lui dire qu'elle en avait presque le triple du sien ?.. Elle était presque écœurée. Presque hagarde, elle s'était levée, difficilement, et avait attrapé sa veste restée sur le pouf. Matt semblait ne pas comprendre ce qui se passait puisqu'il la regardait, tentant un geste maladroit que la vampire interprétait comme un 'désolé, je voulais pas te blesser, mais tu sais..."
Typique des hommes. Si elle était surprise au départ, elle était à présent en colère. Elle attrapa son sac d'un geste brusque et le regarda, l'oeil noir :

Ne viens pas me sortir cette excuse pitoyable de l'âge, ou du boulot... D'une, je ne fais pas mon âge, tu ne peux donc pas le savoir précisément, et de deux, on ne travaille même pas dans le même service ! Et enfin, comment oserais-tu faire comme si rien ne s'était passé si on se recroisait ?.. tu ne pourras pas. Je ne pourrais pas non plus. On ne pourra pas se regarder, se croiser, parce qu'on sera gênés... Ne dis pas le contraire, tu mentirais. comment tu peux faire ça ?.. ach.. die Männer sind alle die selben...
et tu espérais sans doute rester un simple ami ?.. acheva-t-elle en un souffle. Impossible.

Matt fit un pas en avant, et elle le gifla, autant énervée qu'humiliée. Elle lui avait raconté des choses personnelles, des choses si graves que seules deux personnes savaient... En 156ans elle n'avait accordé sa confiance pleine et entière qu'à 2personnes. L'une et l'autre l'avaient laissée sur le bord du chemin. Elle s'en voulu alors d'avoir voulu lui faire confiance, d'avoir voulu croire en lui...
Elle murmura une dernière phrase...

ich will dich niewieder sehen !

...avant de se diriger vers la porte.
Mais avant d'attraper la poignée elle se retourna :
Est-ce trop dur de demander un peu de temps ? Trop difficile de voir où ce voyage va nous emmener? Trop inquiétant pour préférer ignorer ? trop fort pour refuser de l’admettre ?

Cynthia eut un sourire triste et déçu en soupirant :
Mais que vaut la vie, si… on ne prend pas de risques ? si… on ne se bat pas pour elle ? si… on évite de la croiser dans le regard de l’autre ? si on refuse de la goûter sur les lèvres de l'autre ?

Elle revint sur ses pas, l'embrassa avant de tourner les talons et d'appeler l'ascenseur. Devant les portes métalliques, elle sanglota doucement. Les portes s'ouvrirent enfin et elle s'engouffra à l'intérieur. Bien sûr qu'elle regrettait son geste. Bien sûr qu'elle avait menti en lui disant qu'elle ne voulait plus jamais le revoir... Les portes commencèrent à se refermer et elle glissa le long du mur de la cabine, finissant assise par-terre, les mains sur les genoux...
S'il en valait la peine, il reviendrait et arrêterait l'ascenseur. S'il en valait la peine...









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le coin des non-germanophiles :
ach.. die Männer sind alle die selben.. = ah.. les hommes sont tous les mêmes !


ich will dich niewieder sehen ! = je ne veux plus jamais te revoir !